(Je ne voulais pas écrire là-dessus au début. Parce que je ne me sens pas légitime, et que j’avais peur de verser dans le pathos, ou de m’embrouiller. Et puis je suis tombée sur la légence ci-dessous qui vient d’ici, et qui m’a été une telle révélation, et d’une telle aide depuis samedi matin, que je me suis dit que même si c’était tout petit, même si ça n’était pas très clair, je sais écrire, et que mes mots pourront, peut-être, aussi toucher….)
La fable du colibri (Pierre Rhabi)
Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes d’eau avec son bec pour les jeter sur le feu.
Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit: « Colibri! Tu n’es pas fou? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu! »
Et le colibri lui répondit: « Je le sais, mais je fais ma part ».
Depuis vendredi soir, ou plutôt nuit, j’ai pleuré deux fois. Pas lorsque j’ai découvert l’horreur sur les réseaux, alors même que j’allais me coucher, et qu’un élan m’a envoyé une dernière fois sur Twitter, où je suis restée ensuite scotchée pendant 3H. Là, j’étais trop hébétée, trop anesthésiée, trop effarée.
Non, les larmes ont coulé le lendemain matin, à la réception d’un message très sommaire de ma mère, me demandant quel monde ils allaient nous laisser. Et lorsque je lui ai répondu « le meilleur possible, parce que c’est notre devoir et que nous allons y travailler pour nos enfants », alors que ma fille jouait à côté de moi à essayer de me chatouiller, et me faisait des câlins dans la chaleur de son sommeil à peine chassé…
La 2ème fois a été lundi dans l’après-midi. Je n’avais pas la radio branchée, je suivais le discours du Président de la République sur twitter, via les comptes d’information qui en reportaient le principal. Je n’ai pas réellement pleuré, parce que j’étais au bureau, parce que j’avais du monde autour de moi et que j’avais envie de tout sauf de parler de ça avec mes collègues, malheureusement. Mais j’ai senti ma gorge se serrer, mes yeux se remplir. Parce que ce que je lisais là, ce que je lisais depuis 3 jours, ce que j’entendais, ce n’était pas la France que j’avais choisie, et adoptée il y a maintenant presque 15 ans. Et si, en Janvier, j’ai justement admiré cette France, et je l’ai aimée, aujourd’hui je suis perdue.
Je sais. Ou du moins, une part de moi sait. Et comprend. Je comprends le temps de la politique, le temps de la réaction. Je comprends la peur, je la ressens un peu, mais c’est facile à dire et à écrire, quand on est à 900km de là où ça a explosé, que tous nos proches sont sains et saufs et même pas vraiment proches de l’histoire, ou alors pour les amis qui nous ont rassuré de suite. Peut-être que je parlerais autrement si ma famille, mes enfants, mes amis avaient péri. Ou même vécu ces heures de terreur. Peut-être. Mais peut-être puis-je, justement, faire entendre une autre voix justement parce que j’ai l’immense chance, la bénédiction d’être un peu plus loin du coeur de l’action?
Je ne veux pas dire que c’est la guerre. Et je ne veux pas l’entendre. Et même si je sais que cette phrase était incontournable dans la bouche des autorités et du pouvoir, je refuse d’y adhérer, je refuse d’être solidaire de ces propos. Je refuse qu’ils reflètent ce que je pense et ce que j’appelle. Etre en guerre, être dans la riposte, c’est leur donner raison. C’est accepter leurs règles du jeu. C’est accepter qu’ils nous forcent à changer notre façon d’être. C’est les légitimer, c’est entrer sur leur terrain.
Je n’ai pas de compétences géopolitiques. J’écoute, je lis. Et je n’ai jamais entendu de témoignages plus bouleversants que depuis samedi. Deux notamment: par Nicolas Hénin, cet ancien otage de Daesh, et par Antoine Leiris, ce journaliste dont l’épouse, et la mère de son fils, a péri vendredi soir. Et ces deux hommes, j’aimerais les remercier d’oser lancer un message de réflexion, d’apaisement. Malgré tout ce qu’ils ont vécu. Surtout parce qu’ils l’ont vécu, et qu’ils ont ce poids-là…
Parce que ça fait 14 ans que nous sommes en guerre. Depuis le 11 Septembre 2001. Et que la violence en réponse à la violence a abouti au Bataclan vendredi. Même si c’est un raccourci, c’est un fait. Parce que je suis intimement persuadée que tout cette violence, tous ces appels à la vengeance, les fait triompher. Nous parlons désormais leur langage, nous leur montrons à quel point ils nous ont atteint, même si c’est tellement humain, tellement…Normal.
Moi, ce que je veux opposer à ces personnes, ce ne sont pas les armes. Même pas les mesures de sécurité. Ni l’état d’urgence, la modification de la Constitution, le renforcement des pouvoirs de la police. Ce que je veux leur opposer, ce sont les livres. La culture. La connaissance. L’histoire. Alors oui, c’est utopique, bien sûr, ça n’empêchera pas d’autres bombes d’exploser, pas là, maintenant. Mais mon devoir, celui que je sens, au fond de mes tripes, c’est de parler. De ne pas laisser le vase de la haine, de la revanche, de la colère se remplir. Et de lutter avec mes moyens, mes tout petits moyens: en veillant à ce que mes enfants sachent, et comprennent. En veillant à ce qu’autour de moi, j’aie le droit de dire ce que je pense, et d’exprimer mon désaccord. En continuant à prôner à tout prix le savoir. En remplissant le vase de l’optimisme. De l’amour, de la tolérance, du dialogue, de l’égalité.
Depuis samedi, je suis particulièrement (trop..) ma TL. Et je m’efforce d’y distiller du positif. De retweeter ce que je vois de beau, de sensé. Essayer de propager, à mon niveau. Comme le colibri. Vous pouvez me traiter de Bisounours, je l’accueillerai avec bonheur, et dans les couleurs de l’arc-en-ciel, je choisis le jaune.
Je ne suis pas politicienne. Je suis citoyenne. Du monde, parce que je ne suis même pas Française. Mais j’ai choisi ce pays. Et je ne veux pas qu’il sombre dans la peur de l’autre, dans la généralisation, dans les raccourcis et la division.
Le changement partira dans la base. Et aujourd’hui, à mon niveau, la seule chose que je puisse faire, c’est contribuer à ce que ça s’étende autour de moi. Parler, expliquer, donner mon opinion, convaincre. Et espérer que ça s’étende, que ça remonte, que ça prenne de la puissance, et dicte enfin, enfin des politiciens qui sont normalement là pour être à notre service, nous écouter et concrétiser nos demandes.
Alors oui, l’Humain, c’est maintenant….
Merci Flo, ton témoignage me touche au plus profond, tu as les mots justes et je pense aussi que c’est par les livres et la culture qu’on vaincra la violence. J’avais lu aussi le message d’Antoine Leiris, bouleversant
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